vendredi 11 décembre 2015

Juste après

Quel vin peut on boire, juste après ? Quand on a dans la bouche un goût amer, âcre et astringent, si fort qu'il nous donne la nausée, quels arômes peuvent venir gommer l'impression de l'horreur ?

Quand on se réveille un 14 novembre, qu'on tremble encore de peur et qu'on ose à peine croire que les êtres chers sont encore bien debout, on veut d'abord s'enfermer dans la cave, ne plus voir les images, ne plus entendre les bruits horribles des balles et des sirènes. On voudrait pouvoir se réveiller et réaliser que tout cela n'a été qu'un affreux cauchemar. Mais la réalité court toujours bien plus vite que nous. On téléphone, on textote, on twitte, le regard dans le vide, la vie suspendue. Le cerveau, bon ami, déclenche un anesthésiant puissant qui rend toutes nos sensations cotonneuses. Comme un lendemain de soirée trop arrosée, le mal de crâne en moins.

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J'ai pris une bouffée d'air frais, et puis j'ai décidé que j'avais envie de champagne. Je n'avais pas encore pu serrer mes survivants à moi dans les bras, mais je voulais fêter cette chance incroyable de ne les avoir pas perdus. Je voulais que les bulles pétillent comme une résistance à cette guerre noire qui avait envahi nos quotidiens. Je voulais remplacer mon désarroi cotonneux par une ivresse pleine de légèreté. J'ai trinqué à la santé des êtres aimés en me promettant de le leur dire à voix haute.

Et puis juste après, au terme d'heures des questions et de kilomètres avalés sans réfléchir, on a fait une grande tablée devant le feu. On s'est assis là et on a ri comme si rien de tout cela n'était arrivé. On ne s'est pas serrés dans les bras, on a ri, parce que c'est comme cela qu'on conjure le mauvais sort. C'était un moyen de se dire que rien n'avait changé. Mon père, ce taiseux, est descendu chercher une belle bouteille de Crozes Hermitage pour mettre de l'élégance dans ces retrouvailles impromptues mais Ô combien importantes. On a trinqué à la vie.

J'ai dégusté ces deux bouteilles la gorge serrée. de peur, d'émotion, de soulagement, de joie et d'un mélange de tout cela. Je n'ai pas réussi à leur dire que je les aime, mais j'ai trinqué avec eux, et au fond, c'est presque pareil. Dans le vin, il y a le plaisir, il y a l'humanité, il y a la vie, notre histoire et notre futur.

Trinquons: je vous aime.

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