vendredi 2 octobre 2015

Quand je serai grande, je veux vivre la vigne de Château


C'est l'histoire d'un couple...

Fin des années 2000, Vanessa suivait une carrière de comédienne tandis qu’Andy travaillait dans la pub et l’événementiel. A l’approche de la quarantaine, « comme beaucoup », leur vient cette idée de quitter la ville et de commencer de nouveaux projets. Le vin n’est alors qu’un plaisir hédoniste, et pas encore à l’ordre du jour. Jusqu’à quelques voyages en Suisse, en Allemagne… où le couple goûte des vins « nordiques ». « Et là nous nous sommes dits qu’il y avait quelque chose à faire », raconte Vanessa. « Des vins du Sud, il y en a plein, lourds, alcooleux. Ils ne sont pas mauvais, mais l’on peut aussi avoir envie parfois de quelque chose de différent. C’est gai d’avoir tous les styles à disposition ».


A la recherche de l’acidité perdue

 « Nous sommes partis du principe que l’acidité, est en fait un cadeau du ciel … à l’heure où le soleil tape et où beaucoup de viticulteurs cherchent, eux, à acidifier leurs vins ! ». Cette acidité, que Vanessa osait à peine évoquer au début de peur d’effrayer les dégustateurs, est en fait devenue leur marque de fabrique, la colonne vertébrale des vins de Bioul. « Je pense que les vins septentrionaux goûtent un peu le caillou », car la minéralité joue aussi un rôle prépondérant dans les arômes des vins produits ici. A 200 mètres d’altitude environ, sur un coteau surplombant la Meuse, les parcelles du Château de Bioul sont toutes situées sur des sols escarpés et très caillouteux, sur une veine de schiste carbonifère. Cette pierre, que l’on retrouve en tuiles sur le toit du Château, emmagasine la chaleur du soleil et la restitue la nuit, limitant les amplitudes thermiques trop importantes pour les raisins, qui peuvent ainsi poursuivre leur maturation tout en finesse. La présence de la Meuse en contrebas prévient aussi des risques de gel. Les parcelles sont réparties en trois zones autour de la propriété familiale : La première, près d’une carrière, la seconde, sur une veine calcaire et enfin la troisième, sur un sous-sol de schiste.

Le choix d’une agriculture respectueuse

Dès le départ, Andy et Vanessa choisissent les cépages interspécifiques, venus de Suisse, d’Allemagne ou d’Autriche, en raison de leur résistance particulièrement développée à l’oïdium et au mildiou. En effet, pas question pour eux de se lancer dans un projet d’agriculture si celui-ci n’est pas durable. « Nous n’allions pas lancer un projet qui abimerait ces terres auxquelles nous tenons tant » résume Vanessa « Nous faisons le moins de traitements possible, continue-t-elle, et c’est une vraie fierté. Les sols que nous avons choisis pour planter étaient vierges : ils n’avaient jusque là servi que de pâture. Nous n’avions rien à rattraper donc, et nous ne les abîmons pas. Les sols restent profondément vivants. Nous faisons des traitements en biodynamie, nous utilisons de la chaux s’il y a besoin d’engrais, surtout sur les jeunes plantes, nous travaillons vraiment de la façon la plus localisée qui soit. » conclue-t-elle. La viticulture biologique ? Bien entendu, c’est un de leurs souhaits, mais aujourd’hui matériellement impossible : la viticulture belge n’est pas d’une taille critique suffisante pour que les fabricants de produits phytosanitaires certifiés bios souhaitent demander l’agrément bio belge. Conclusion, ces produits sont introuvables, et la seule solution serait d’utiliser du sulfate de cuivre (bouillie bordelaise) à de très fortes doses (toute pluie lave le produit et réduit donc son efficacité à 0), ce qui à terme, détruirait les sols. Même chose pour la certification Demeter (biodynamie), impossible à obtenir, puisque le vignoble n’est déjà pas certifié bio, ce qui est un préalable !



A Bioul, la mécanisation est impossible : les vignes sont trop en pente. « Je suis pourtant convaincue de la qualité des vendanges machines », poursuit Vanessa, « mais le temps fait finalement lui aussi partie intégrante du processus. Cueillis à la main, les raisins sont vraiment triés de façon très précise ».

Dix hectares et sept cépages

Sur les onze hectares de vigne existant aujourd’hui, 75% sont plantés en blanc, et 25% en rouge « mais nous ne ferons jamais ici de grand rouge », reconnaît Vanessa. « Ce serait faisable, mais il faudrait aller a contrario de toute la philosophie que nous avons mise en place, qui est de ne pas faire des vins techniques. Or pour faire du bon vin rouge, il nous faudrait beaucoup de technique ». Les raisins rouges servent donc à créer deux cuvées de rosé, l’une tranquille, l’autre effervescente. « Des vins à part entière ! » insiste notre châtelaine. Loin des canons des nouveaux pays producteurs, lourds et solaires, les châtelains revendiquent l’identité de ceux qu’ils appellent « les vins du Nord », plus légers, plus aériens, dans la finesse.

Dès 2009, trois hectares ont été plantés, puis, en cinq ans, les ceps se sont littéralement multipliés, pour un domaine qui compte désormais 10 hectares, plus un petit dernier, fort symbolique, planté cette année dans les jardins même du château. « Je ne m’imaginais pas amener des gens ici et leur parler du vignoble sans qu’ils aperçoivent un cep depuis la fenêtre ! » justifie Vanessa. Ce sont donc uniquement des cépages interspécifiques qui ont été choisis, avec les conseils d’ingénieurs agronomes allemands et notamment de Konrad  Gröner, qui suit régulièrement l’évolution des vignes. On trouve donc Bronner, Johanniter, Solaris, Muscaris pour les blancs, Pinotin et Cabernet noir pour les rouges.



Des grands vins, sinon rien !

Côté chai, toutes les conditions et tous les moyens sont réunis pour tirer le meilleur de chaque cépage : cuves thermorégulées, barriques de diverses contenances, et même une cuve ovoïdale, la première de Belgique, « notre fleuron », dit Vanessa. La forme bien spéciale de cette cuve permet de créer un vortex qui maintient de façon permanente les lies des vins en suspension. Le tout est mené de main de maître par Mélanie Chéreau, la maître de chai française, qui s’est installée au château dès le premier millésime. « Une rencontre tombée du ciel », raconte Vanessa.  Chaque année, Mélanie essaie de trouver les processus les plus adaptés aux raisins qu’elle reçoit. Avec Vanessa et Andy, elle continue d’aller visiter d’autres vignobles pour en ramener les méthodes qui permettront à Bioul de flirter avec l’excellence. « Nous n’avons rien inventé, précise Vanessa, tout ce qui se trouve là existe déjà ailleurs ». Le maître-mot, au Château de Bioul, est de laisser s’exprimer le potentiel fruité de chaque cépage, en combinant les savoir-faire traditionnel et moderne : égrappage, pressurage doux, vinification à froid, élevage en inox et/ou en fûts… Cette année, des premiers essais d’élevage en musique ont été effectués, partant du principe que certaines fréquences agissent sur la mise en suspension des lies et donc sur le caractère final des vins ainsi obtenus. Mais tout cela n’en est encore qu’à ses prémices.



Un château en Belgique

Si 2015 est un grand tournant pour Vanessa et Andy, c’est aussi parce qu’ils sont officiellement devenus propriétaires du Château de Bioul. S’ils n’ont pas encore décidé exactement de l’avenir de cette magnifique et grande bâtisse familiale, les projets sont légion. Les plans ne sont pas encore précis, mais les visiteurs, c’est certain, ne trouveront pas porte close au château. De plus, si jusqu’alors leur petite production s’écoulait sans effort particulier, ils espèrent bien franchir pour ce millésime 2015 le cap des 50 000 bouteilles : il va donc falloir commencer à réfléchir sérieusement à la commercialisation. Aujourd’hui, quatre employés travaillent déjà à temps plein sur la propriété, sans compter les nombreux saisonniers. « Le problème à la vigne, c’est qu’il n’y a pas toujours du travail, mais quand il y en a, il y en a beaucoup ! » résume Vanessa.
Avec les vignes, le Château connait désormais une seconde vie. Sa grange est devenue cuverie, ses écuries, salle de chai. Et bientôt un espace d’accueil pour les visiteurs ? « Bien entendu », répond Vanessa, qui pousse une table dans un coin, repositionne une bouteille sur l’étagère… Avec un lieu comme celui-ci, il est logique d’accueillir du monde. « Nous ne savons pas encore exactement quand ni comment, mais nous allons le faire, c’est certain ». Et elle part vers un nouveau projet, téléphone en main et sourire aux lèvres, avant d’ajouter « Mais dans dix ans, on laisse tout cela aux enfants, et on part à la retraite sous le soleil ! ». Moi, je parie qu'ils ne seront pas guéris de sitôt du virus de la viticulture qui les a piqués...












Les vins
Terre charlot (Solaris, Johanniter)
Un vin rond, léger, entre notes exotiques et agrumes.


Terre charlotte  (Solaris, Bronner)
Un vin cristallin, entre notes minérales très fraîches et fruits jaunes plus typiques du Solaris.


Batte de la reine (Johanniter, Cabernet Blanc)
Le nez est expressif et vif, sur des notes florales et exotiques : mangue, lys, ananas. En bouche, le vin est plus serré, rappelant la minéralité du terroir de Bioul. L’ensemble est joliment complexe tout en gardent une élégance aérienne.




L’adresse :
Domaine du Château de Bioul
Place Vaxelaire, 1
5537 Bioul
+32 71 326 700




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