C'est l'histoire d'un couple...
Fin des années 2000, Vanessa suivait une carrière de
comédienne tandis qu’Andy travaillait dans la pub et l’événementiel. A
l’approche de la quarantaine, « comme beaucoup », leur vient cette
idée de quitter la ville et de commencer de nouveaux projets. Le vin n’est alors
qu’un plaisir hédoniste, et pas encore à l’ordre du jour. Jusqu’à quelques
voyages en Suisse, en Allemagne… où le couple goûte des vins
« nordiques ». « Et là nous nous sommes dits qu’il y avait
quelque chose à faire », raconte Vanessa. « Des vins du Sud, il y en
a plein, lourds, alcooleux. Ils ne sont pas mauvais, mais l’on peut aussi avoir
envie parfois de quelque chose de différent. C’est gai d’avoir tous les styles
à disposition ».
A la recherche de
l’acidité perdue
« Nous sommes
partis du principe que l’acidité, est en fait un cadeau du ciel … à l’heure où
le soleil tape et où beaucoup de viticulteurs cherchent, eux, à acidifier leurs
vins ! ». Cette acidité, que Vanessa osait à peine évoquer au début
de peur d’effrayer les dégustateurs, est en fait devenue leur marque de fabrique,
la colonne vertébrale des vins de Bioul. « Je pense que les vins septentrionaux
goûtent un peu le caillou », car la minéralité joue aussi un rôle
prépondérant dans les arômes des vins produits ici. A 200 mètres d’altitude
environ, sur un coteau surplombant la Meuse, les parcelles du Château de Bioul
sont toutes situées sur des sols escarpés et très caillouteux, sur une veine de
schiste carbonifère. Cette pierre, que l’on retrouve en tuiles sur le toit du
Château, emmagasine la chaleur du soleil et la restitue la nuit, limitant les
amplitudes thermiques trop importantes pour les raisins, qui peuvent ainsi
poursuivre leur maturation tout en finesse. La présence de la Meuse en
contrebas prévient aussi des risques de gel. Les parcelles sont réparties en
trois zones autour de la propriété familiale : La première, près d’une
carrière, la seconde, sur une veine calcaire et enfin la troisième, sur un
sous-sol de schiste.
Le choix d’une
agriculture respectueuse
Dès le départ, Andy et Vanessa choisissent les cépages
interspécifiques, venus de Suisse, d’Allemagne ou d’Autriche, en raison de leur
résistance particulièrement développée à l’oïdium et au mildiou. En effet, pas
question pour eux de se lancer dans un projet d’agriculture si celui-ci n’est
pas durable. « Nous n’allions pas lancer un projet qui abimerait ces
terres auxquelles nous tenons tant » résume Vanessa « Nous faisons le
moins de traitements possible, continue-t-elle, et c’est une vraie fierté. Les
sols que nous avons choisis pour planter étaient vierges : ils n’avaient
jusque là servi que de pâture. Nous n’avions rien à rattraper donc, et nous ne
les abîmons pas. Les sols restent profondément vivants. Nous faisons des
traitements en biodynamie, nous utilisons de la chaux s’il y a besoin
d’engrais, surtout sur les jeunes plantes, nous travaillons vraiment de la
façon la plus localisée qui soit. » conclue-t-elle. La viticulture
biologique ? Bien entendu, c’est un de leurs souhaits, mais aujourd’hui
matériellement impossible : la viticulture belge n’est pas d’une taille
critique suffisante pour que les fabricants de produits phytosanitaires
certifiés bios souhaitent demander l’agrément bio belge. Conclusion, ces
produits sont introuvables, et la seule solution serait d’utiliser du sulfate
de cuivre (bouillie bordelaise) à de très fortes doses (toute pluie lave le
produit et réduit donc son efficacité à 0), ce qui à terme, détruirait les
sols. Même chose pour la certification Demeter (biodynamie), impossible à
obtenir, puisque le vignoble n’est déjà pas certifié bio, ce qui est un
préalable !
A Bioul, la mécanisation est impossible : les vignes
sont trop en pente. « Je suis pourtant convaincue de la qualité des
vendanges machines », poursuit Vanessa, « mais le temps fait finalement
lui aussi partie intégrante du processus. Cueillis à la main, les raisins sont
vraiment triés de façon très précise ».
Dix hectares et sept cépages
Sur les onze hectares de vigne existant aujourd’hui, 75% sont
plantés en blanc, et 25% en rouge « mais nous ne ferons jamais ici de
grand rouge », reconnaît Vanessa. « Ce serait faisable, mais il
faudrait aller a contrario de toute la philosophie que nous avons mise en place,
qui est de ne pas faire des vins techniques. Or pour faire du bon vin rouge, il
nous faudrait beaucoup de technique ». Les raisins rouges servent donc à
créer deux cuvées de rosé, l’une tranquille, l’autre effervescente. « Des
vins à part entière ! » insiste notre châtelaine. Loin des canons des
nouveaux pays producteurs, lourds et solaires, les châtelains revendiquent
l’identité de ceux qu’ils appellent « les vins du Nord », plus
légers, plus aériens, dans la finesse.
Dès 2009, trois hectares ont été plantés, puis, en cinq ans,
les ceps se sont littéralement multipliés, pour un domaine qui compte désormais
10 hectares, plus un petit dernier, fort symbolique, planté cette année dans
les jardins même du château. « Je ne m’imaginais pas amener des gens ici
et leur parler du vignoble sans qu’ils aperçoivent un cep depuis la
fenêtre ! » justifie Vanessa. Ce sont donc uniquement des cépages
interspécifiques qui ont été choisis, avec les conseils d’ingénieurs agronomes
allemands et notamment de Konrad Gröner,
qui suit régulièrement l’évolution des vignes. On trouve donc Bronner, Johanniter,
Solaris, Muscaris pour les blancs, Pinotin et Cabernet noir pour les rouges.
Des grands vins, sinon rien !
Côté chai, toutes les conditions et tous les moyens sont
réunis pour tirer le meilleur de chaque cépage : cuves thermorégulées,
barriques de diverses contenances, et même une cuve ovoïdale, la première de
Belgique, « notre fleuron », dit Vanessa. La forme bien spéciale de
cette cuve permet de créer un vortex qui maintient de façon permanente les lies
des vins en suspension. Le tout est mené de main de maître par Mélanie Chéreau,
la maître de chai française, qui s’est installée au château dès le premier millésime.
« Une rencontre tombée du ciel », raconte Vanessa. Chaque année, Mélanie essaie de trouver les
processus les plus adaptés aux raisins qu’elle reçoit. Avec Vanessa et Andy, elle
continue d’aller visiter d’autres vignobles pour en ramener les méthodes qui
permettront à Bioul de flirter avec l’excellence. « Nous n’avons rien
inventé, précise Vanessa, tout ce qui se trouve là existe déjà ailleurs ».
Le maître-mot, au Château de Bioul, est de laisser s’exprimer le potentiel
fruité de chaque cépage, en combinant les savoir-faire traditionnel et
moderne : égrappage, pressurage doux, vinification à froid, élevage en
inox et/ou en fûts… Cette année, des premiers essais d’élevage en musique ont
été effectués, partant du principe que certaines fréquences agissent sur la
mise en suspension des lies et donc sur le caractère final des vins ainsi
obtenus. Mais tout cela n’en est encore qu’à ses prémices.
Un château en Belgique
Si 2015 est un grand tournant pour Vanessa et Andy, c’est
aussi parce qu’ils sont officiellement devenus propriétaires du Château de
Bioul. S’ils n’ont pas encore décidé exactement de l’avenir de cette magnifique
et grande bâtisse familiale, les projets sont légion. Les plans ne sont pas
encore précis, mais les visiteurs, c’est certain, ne trouveront pas porte close
au château. De plus, si jusqu’alors leur petite production s’écoulait sans
effort particulier, ils espèrent bien franchir pour ce millésime 2015 le cap
des 50 000 bouteilles : il va donc falloir commencer à réfléchir
sérieusement à la commercialisation. Aujourd’hui, quatre employés travaillent
déjà à temps plein sur la propriété, sans compter les nombreux saisonniers.
« Le problème à la vigne, c’est qu’il n’y a pas toujours du travail, mais
quand il y en a, il y en a beaucoup ! » résume Vanessa.
Avec les vignes, le Château connait désormais une seconde
vie. Sa grange est devenue cuverie, ses écuries, salle de chai. Et bientôt un
espace d’accueil pour les visiteurs ? « Bien entendu », répond Vanessa,
qui pousse une table dans un coin, repositionne une bouteille sur l’étagère…
Avec un lieu comme celui-ci, il est logique d’accueillir du monde. « Nous
ne savons pas encore exactement quand ni comment, mais nous allons le faire,
c’est certain ». Et elle part vers un nouveau projet, téléphone en main et
sourire aux lèvres, avant d’ajouter « Mais dans dix ans, on laisse tout
cela aux enfants, et on part à la retraite sous le soleil ! ».
Moi, je parie qu'ils ne seront pas guéris de sitôt du virus de la viticulture qui les a piqués...
Les vins
Terre charlot (Solaris, Johanniter)
Un vin rond, léger,
entre notes exotiques et agrumes.
Terre charlotte (Solaris, Bronner)
Un vin cristallin, entre
notes minérales très fraîches et fruits jaunes plus typiques du Solaris.
Batte de la reine (Johanniter, Cabernet Blanc)
Le
nez est expressif et vif, sur des notes florales et exotiques : mangue,
lys, ananas. En bouche, le vin est plus serré, rappelant la minéralité du
terroir de Bioul. L’ensemble est joliment complexe tout en gardent une élégance
aérienne.
L’adresse :
Domaine du Château de Bioul
Place Vaxelaire, 1
5537 Bioul
+32 71 326 700
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