Si on m'avait dit que j'irai visiter des vignobles en Belgique, je l'aurais à peine cru. Et si l'on avait ajouté que j'allais découvrir un vin doux naturel dans le Hainaut, là vraiment, j'aurais été certaine d'avoir affaire à des fous. Ils sont fous ces gaulois belges!
Et pourtant... j'ai découvert Thuin. Un village qui résiste encore et toujours à l'envahisseur, mais cette histoire là, vous la connaissez par coeur. A Thuin les jardins sont suspendus, histoire de ne pas faire comme partout, hein. Historiquement, ces jardins avaient été aménagés au-delà des fortifications
du village par les bourgeois, qui ne disposaient que de peu d’espace verts dans
le village lui-même.
En 2001, le gouvernement fédéral
décide de rénover les jardins suspendus de Thuin. La question se pose ensuite de leur entretien,
et la ville lance un appel à projet. Puisqu’historiquement les moines y avaient
planté des vignes, la distillerie de Biercée, voisine, propose d’y réimplanter
un vignoble en partenariat avec la commune. Oh, la bonne idée.
Derrière cette idée, il y a, surtout, Christophe Mulatin, alors
responsable de la production à la distillerie de Biercée, située à un vol d'oiseau de là. Il croise régulièrement Philippe Grafé, LE pionnier du renouveau de la viticulture wallone (soon starring on this même blog), lors des réunions de la
Fédération Belge des Vins et Spiritueux. En pleine recherche pour installer son
domaine personnel, celui-ci lui cause régent et solaris, des cépages
interspécifiques, particulièrement adaptés aux conditions climatiques wallonnes,
notamment en raison de leurs cycles végétatif très court (85 jours contre 100 en
moyenne).
Comme ce clos n'est qu'un jardin, le choix est
fait de se concentrer uniquement sur le Régent, dont 1000 pieds sont plantés
sur les 9 terrasses mises à disposition par la commune, pour élaborer un vin
rouge tranquille. La première vendange est réalisée en 2003, et voilà l’un des
tous premiers vins rouges réalisés en Belgique.
Où les distillateurs ajoutent leur grain d’alcool
« D’une année à l’autre,
raconte Christophe, la qualité était vraiment très variable », et
les résultats particulièrement fluctuants. Pas facile de vinifier des lots si petits, pas facile de s'improviser vinificateur lorsqu'on distille, même si l'on aime à déguster une fois à table...
En 2012, les conditions climatiques
particulièrement difficiles font que seuls 800 litres de vin peuvent être
récoltés. Christophe Mulatin et Pierre Gérard, son comparse de la distillerie, décident
de risquer le tout pour le tout, et puisque qu’ils n’ont que l’embarras du
choix en termes d’alcools, ils procèdent à la mutation du moût. Perdu pour perdu, autant faire des recherches! Très contents
du vin doux naturel ainsi obtenu, les deux compères décident en fait de
continuer sur cette voie et depuis, ils vinifient tous les ans du vin doux
naturel issu de régent, une véritable rareté.
Si le projet est d’abord porté
humainement et matériellement par la distillerie de Biercée, l’activité s’avère
peu rentable, et la distillerie, rachetée par le groupe Mestdagh, souhaite bientôt s’en détacher. Les deux
maîtres distillateurs, Christophe Mulatin et Pierre Gérard, se sont piqués au
jeu, et sont déjà bien attachés à ce petit vignoble. Ils fondent donc une Asbl,
soutenue par la commune de Thuin et l’Office de tourisme. « Cela
arrange vraiment tout le monde », expliquent ils. Eux vivent leur passion, les jardins sont entretenus, et Thuin à un atout de plus pour les touristes qui viennent s'y promener.
« Le vignoble
thudinien » est présidé par Jacky Collignon, qui a la chance d’habiter la
première maison au pied du clos (normal, c'est lui le chef). Les
travaux de la vigne sont réalisés par l’Asbl « L’essor », qui
soutient les personnes en décrochage social. Quant aux vendanges, elles sont
l’œuvre de bénévoles, qui répondent toujours fort nombreux à l’appel…. Si
nombreux qu’en 2015, les vendanges n’ont duré que quarante minutes! Un petit rêve pour les viticulteurs français qui courent désespérement après la main d'oeuvre entre septembre et octobre...
Chaque année, traditionnellement, la Marche Saint Roch de Thuin, fanfare à
laquelle rend hommage la dénomination « le Clos des Zouaves », et où
joue presque tout le personnel de la distillerie, accompagne la cueillette de
musique. Les Zouaves de Thuin font ainsi honneur à leur vin!
Le vignoble est mené depuis bien
longtemps en agriculture biologique, même si la certification n’interviendra
qu’au printemps prochain. « Au début nous passions préventivement de la
bouillie bordelaise, car les pépiniéristes que nous avions croisé avaient
beaucoup insisté sur les risques du mildiou et de l’oïdium. Nous avons ensuite
espacé les traitements, pour nous rendre compte que la vigne était toujours en
très bon état, jusqu’au jour où nous avons tout supprimé, sans rencontrer le
moindre problème », explique Pierre Gérard. Le trèfle planté entre les
rangs permet un apport régulier d’azote à la vigne. Prochainement, des ruches
vont être installées, dans le cadre du plan maya pour aider à la pollinisation.
Le sous sol schisteux et les murs
de pierre des jardins sont autant de capteurs de chaleur sur ce versant exposé
plein sud, qui continue à chauffer la vigne durant la nuit, permettant aux
raisins d’arriver rapidement et sans à coups à une maturité parfaite.
Agrandir ? Ce n’est pas
vraiment à l’ordre du jour. Certes des jardins pourraient se libérer, mais
aujourd’hui l’Asbl parvient déjà à peine à l’équilibre financier. Sans compter les
travaux d’entretiens des jardins suspendus s’avèrent souvent très onéreux. En
2015, Thuin a poussé un peu plus loin la mise en avant de ce patrimoine
exceptionnel en implantant 17 œuvres d’art contemporaines qui permettent à tous
de déambuler à pied à travers le village. L’une des œuvres est précisément
nichée au cœur du Clos des Zouaves.
distillerie, il faut
chercher entre les alambics et les centaines de cuves pour trouver enfin la petite
winery qui donne naissance aux bouteilles du Clos des Zouaves. Christophe et Pierre
ont ainsi l’œil dessus de façon constante. Quatre petites cuves, un foudre en
chêne, il n’en faut pas plus pour notre joyeuse équipe. L’idée est de vinifier
un vin sur le fruit, de conserver avant tout sa légereté. Le régent n’a pas
l’étoffe nécessaire pour faire un vin charpenté, et une sur extraction serait
synonyme d’arômes verts ou de tannins grossiers. A mi- fermentation, le vin
clair est tiré, le marc pressé, puis les deux jus sont assemblés. C’est alors
qu’est réalisé le mutage, en ajoutant de l’alcool vinique à 80°C, une méthode
semblable à celle employée par les vignerons de Maury ou de Porto. Le vin ainsi
obtenu passera six mois de plus en cuve inox, avant d’être mis en bouteilles
juste avant le week end de la Saint Roch (oh ça ça tombe bien alors!).
« On s’est inventés
vignerons » résument les maîtres distillateurs, qui pendant que dort leur
vin doux naturel sont occupés à inventer un whisky qui va venir tout bientôt
compléter la famille déjà bien nombreuse des alcools distillés à Biercée. Poire, cerise, citron, hibiscus... amenez un ingrédient, ils le distillent. Si un car de touristes anglais s'égare, soyez surs qu'ils essaieront d'en faire quelque chose de buvable, ce qui pourtant ne semble guère possible de prime abord...
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